Conférence de Fr. Alain Richard, initiateur des Cercles de Silence. Toulouse 17 mai 2008



Meeting "Sauvons nos libertés" organisé par l’Ecole de la Cause freudienne,

Toulouse 17 mai 2008



Merci à Madame Alberti et au comité d’organisation de ce meeting, pour votre invitation à venir témoigner. Ce que je me propose de vous dire pourrait avoir le titre :

Devant la gravité de la situation, l’espoir du cri non-violent des Cercles de Silence.

Je vais d’abord décrire rapidement les Cercles de Silence, et ensuite nous en tirerons quelques enseignements pour le présent et pour l’avenir, et j’espère vous faire partager les signes d’espoir que j’y vois.

 

Le Cercle de Silence à Toulouse et les autres Cercles de Silence en France.

Nous sommes une communauté de Franciscains, c'est-à-dire des religieux catholiques qui suivent la règle de vie des compagnons de François d’Assise qui a vécu au 13è siècle. De plus plusieurs d’entre nous ont été amenés à pratiquer l’esprit et la méthodologie des actions non-violentes enseignées par le Mahatma Gandhi et le courant qui s’en est suivi.

Nous savions l’existence du Centre de Rétention Administrative de Cornebarrieu ouvert 18 mois auparavant : nous savions qu’une Loi donne une existence légale à ce Centre de Rétention ; nous savions également par divers canaux que des faits répréhensibles dépassant l’exécution rigoureuse de la Loi avaient lieu. Nous ne savions pas quoi faire pour exprimer mieux que par des manifestations bruyantes, la profondeur de notre indignation.

Il était évident que trop d’habitants de Toulouse ignoraient ce Centre de Rétention. Or il est bien connu que les Lois et les Réglements ne peuvent pas changer si l’opinion publique d’une façon positive ou par son abstention maintient les choses telles quelles sont.

Le Centre de Rétention étant très isolé, près des pistes de l’aéroport, nous avons décidé de commencer fin octobre 2007, quelque chose en un endroit passager, visible et symbolique : devant l’emblème du gouvernement de la ville, la Place du Capitole. Nous avons fait le choix d’utiliser une des techniques de la non-violence gandhienne quand une situation est dramatique et urgente : le silence. Dans la non-violence le silence peut être employé de diverses façons. Nous avons choisi de faire un cercle de silence le regard dirigé vers le centre, une invitation pour chacun à l’intériorité, la sienne. Nous restons le visage découvert. Au centre une lampe tempête permet de poser le regard et rend présent les personnes du Centre de Cornebarrieu qui sont dans notre pensée et notre cœur. Les croyants peuvent prier durant cette heure de silence, mais il n’y a aucune obligation de prier. Etre en silence et respecter le silence des autres est la seule obligation. Quant à nous, Franciscains, pour qui la prière est quelque chose d’important, et quelque chose que nous savons faire, nous prions, simplement et en silence, sans honte. Nous espérons que chacun utilise ce temps pour être en contact avec sa propre réalité d’être humain, son humanité. Nous espérons que cela aide chacun à voir plus clair dans ce qu’il peut faire pour respecter tant l’humanité des sans papiers que celle de ceux qui ont abimé leur humanité en collaborant avec une Loi qui nous apparait injuste, peut-être faut-il dire inique.

Autour du Cercle nous mettons 3 panneaux avec des photos du C.R.A. de Cornebarrieu et en gros caractères notre déclaration. Des tracts de petite taille avec le texte de notre déclaration sont donnés aux personnes qui manifestent de l’intérêt et qui le désirent.

Après 3 mois avec un groupe très modeste, nous sommes maintenant suivant les mois entre 200 et 400. Dans environ 25 autres villes, sans que nous ayons fait aucune propagande, d’autres Cercles de Silence sont nés, les uns comme le nôtre dirigés vers le centre et à visage découvert, d’autres dirigés vers l’extérieur et les personnes portent un masque avec la bouche couverte par du scotch. La couverture médiatique que nous n’avions pas recherchée a été exceptionnelle, et nous admirons tant de journalistes qui ont saisi dès les débuts la gravité de la situation que nous dénonçons. La majorité des journalistes qui sont venus nous interroger semblaient bien percevoir que c’est l’humanité des citoyens français qui est en jeu en même temps que le respect de la dignité des étrangers sans papiers.


Quelques enseignements.

*** Nous réalisons combien notre silence parle à la conscience de beaucoup de personnes, croyants ou incroyants, chrétiens de diverses Eglises, bouddhistes, musulmans, juifs, agnostiques ou athées. Ce message adressé à la conscience est reçu par un nombre émouvant de personnes. Beaucoup de ceux qui acceptent notre invitation à prendre une heure (ou moins) en dehors du bla-bla-bla et du bruit continuel, nous ont dit l’expérience forte qu’ils vivent en se retrouvant eux-mêmes face à leur propre force intérieure riche de leur dignité qui est la perle de leur humanité. Beaucoup nous ont remerciés de les avoir provoqués à se recentrer en délaissant pour un temps le bruit et les sollicitations qui les dispersaient.

Donc malgré tout ce qui dans notre Société vise à endormir ou de fait endort la conscience, il existe un nombre notable de personnes qui sont prêtes à écouter leur conscience pour des évènements qui ne les touchent pas personnellement. C’est d’ailleurs un des postulats de la non-violence gandhienne, qui vise à questionner l’humanité des personnes, voire celle de l’adversaire. On a pu reprocher à Gandhi cet optimisme et l’espoir qui en résulte. De nombreuses luttes ont montré que cet espoir est en réalité parfaitement réaliste.

*** Bien entendu cela nécessite de la part des organisateurs des Cercles de Silence une vigilance pour que leur comportement soit cohérent avec la gravité et l’urgence de la situation dénoncée. Cela nécessite que la non-violence soit vraiment présente à tous les stades de l’action, dans les écrits, les paroles, les relations avec les personnes extérieures, même les contradicteurs. La non-violence n’est pas un truc pour obtenir un résultat. C’est un comportement qui se manifeste dans une façon de vivre qui est à la fois ferme et désarmante pour ceux qui ont cru nécessaire pour se défendre d’être violents ou injustes.

La non-violence gandhienne est aussi très ferme dans son refus de juger les personnes : elle combat des choix, des actions, des situations, que ces situations proviennent seulement de faits répétés ou qu’elles soient institutionnalisées en Lois et règlements. Nous l’avons écrit très clairement : Notre silence et notre prière veulent rejoindre les sans-papiers, ceux qui font la loi et ceux qui la font appliquer, ainsi que tous les acteurs que nous sommes chacun à notre échelle. C'est-à-dire que nous ne nous situons pas dans une problématique où il y a « les mauvais, c'est-à-dire eux » et « les bons, c'est-à-dire évidemment nous ».(cf. les westerns) Même si nous avons une responsabilité plus petite que celle d’un Député, d’un Sénateur, d’un Commissaire de Police, d’un Préfet ou de qui que ce soit dans la chaine de commandement et dans la chaîne d’exécution, nous savons que comme Citoyen, et même plus profondément comme être humain, nous avons une petite responsabilité, et ce n’est pas parce que notre responsabilité est moindre que la responsabilité d’autres personnes que nous avons à mettre notre tête dans la sable comme une autruche.

*** Dans le cas présent il y a deux principaux objectifs à notre Cercle de Silence :

---- que l’enfermement soit limité à des cas précisés dans la loi, et que dans tous les autres cas d’autres mesures de contrôle soient mises en place au lieu de l’enfermement qui est l’unique solution actuelle ;

---- et en attendant que la demande précédente soit devenue loi (ce qui peut demander un certain temps), veiller à ce qu’aucun des exécutants des lois actuelles ne les majore. Etre très sévère à l’égard de tout zèle intempestif, ou pour tous ceux qui font passer dans leur comportement des vengeances, des peurs …..etc

Vous savez peut-être que le Parlement Européen est appelé à voter le 20 Mai, un projet de Directive européenne concernant l’Immigration. Ce texte a été préparé pendant plus de 3 ans. Le texte presque définitif du projet de Directive est connu actuellement. Nous nous sommes efforcés d’analyser les aspects positifs et les aspects dangereux. En vue d’accroitre la sensibilisation en face de ce projet de Directive, nous avons appelé à un Cercle de Silence supplémentaire qui a eu lieu le mercredi 7 mai en même temps qu’une manifestation à Bruxelles avait lieu. Probablement dans 15 ou 20 villes des Cercles de Silence ont eu lieu également.



Voilà ce que notre Cercle de Silence et tous ceux qui sont actuellement en place peuvent apporter à La Défense des Libertés. Nous espérons que notre petite action aidera à ce que des Citoyens prennent le temps de réfléchir sur ce qui se fait en leur nom, qu’ils écoutent leur conscience, qu’ils posent des actes concrets surtout avec des associations engagées dans cette lutte, qu’ils deviennent plus de véritables être humains responsables, car il n’y a pas de Démocratie vraie si les citoyens fuient leurs responsabilités.

Mais permettez-moi d’insister à nouveau sur la richesse de la pédagogie et de la stratégie non-violente : appeler les indifférents, les somnolents, les opposants, à écouter leur humanité propre, et ceux qui refusent cette démarche intérieure, de les contraindre, mais sans jamais attenter par mots ou par actions à leur propre dignité. Si nous étions violents dans cette dernière action , c’est nous qui perdrions quelque chose de précieux à l’intérieur de nous, nous perdrions un peu de notre humanité.

Alain J.Richard