Angers, le 27 février 2009
Docteur
Martine CHARLERY
Médecin
Chef du Secteur Ouest de
Psychiatrie
Infanto-Juvénile
à
Mr
Nicolas SARKOZY
Président
de la République
Monsieur le Président,
"Je suis un crucifié, mais ce n'est pas une raison pour
qu'on me crucifie !" écrivait Antonin Artaud.
Si vous pouviez laisser entrer ce cri en vous, si vous pouviez
le laisser travailler en vous, rejoindre votre propre liberté blessée, je ne
doute pas que vous sauriez revenir sur votre discours du 2 décembre où vous
avez osé stigmatiser la maladie mentale avec une telle violence que nous,
soignants, ne pouvons plus nous taire.
Ce cri d'Artaud m'a requise il y a trente ans, pendant mes
années d'internat ; j'y trouve encore et encore, la raison d'un engagement dans
le service public de la psychiatrie de secteur, où m'a été transmise par nos aînés
cette conviction : lutter contre les maladies de la liberté et de l'altérité,
c'est travailler avec le sujet qui souffre et son entourage (du plus intime au
plus large). C'est lutter pour un renversement : lutter en nous-mêmes, et dans
l'entre- nous, contre ce que peut susciter la folie : le morcellement, les
déchirures, la destructivité, l'exclusion de l'autre. Nous savons que ce
travail-là redonne au sujet malade la possibilité de retrouver le chemin vers
l'humain, en lui, inachevé ou blessé.
Nous, les soignants en psychiatrie, sommes attelés à tenter,
toujours, de transformer les demandes sociales de normalisation, de formatage,
en ouvertures singulières pour nos patients.
Nous sommes habitués à nous trouver bien souvent l'objet de
soupçon, de mépris, de cynisme, à l'image de ce dont sont victimes nos
patients.
Mais le 2 décembre s'est ouverte une brèche par où déferle le
pire, l'autorisation de céder au pire : à la tentation toujours tapie en nous d'exclure,
de faire taire, d'enfermer.
C'est un mensonge à notre société, que de lui faire croire que
cette posture-là, face à la maladie mentale, lui donnera la tranquillité.
Au contraire cela fait droit au pire de ce que la folie peut
susciter.
Ecoutez Artaud, écoutez
parler l'humain en vous, et revenez
- sur votre discours du 2 décembre et sa suite logique : la manne
financière offerte pour la "sécurisation" de l'hôpital à l'aide de
moyens matériels dignes d'un jardin zoologique - alors que partout les moyens
en personnel nous sont arrachés.
- sur le rapport Couty qui fait voler
en éclat la colonne vertébrale du soin que garantissait la politique de secteur
: la continuité transférentielle.
- sur l'insupportable mutation du service public hospitalier en entreprise
vouée à la performance et la rentabilité, où vous croyez nous motiver en nous
parlant comme à des tiroirs-caisses ; cette politique nous insulte.
Ecoutez-nous, ne laissez pas se poursuivre la destruction
symbolique et très réelle de nos collectifs de soin. Il est encore temps,
peut-être.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l'assurance de la
haute considération que j'ai pour votre fonction.
Dr Martine
CHARLERY